Hydraulique,  Nature

L’état des cours d’eau dans les Monédières

Rappelons tout d’abord que la loi sur l’eau a officialisé depuis 2015 une définition légale du cours d’eau selon 3 critères : posséder un lit d’origine naturelle, être alimenté par une source autre que celle des seules précipitations et avoir un débit « suffisant » une majeure partie de l’année.

Abondamment commentée dans la presse[1], l’étude de l’INRAE, qui a réuni les 91 cartes hydrographiques que les départements français réalisent à la demande de l’Etat dans une visée réglementaire, relève non seulement des différences de classification des cours d’eau entre départements et au sein des départements, mais également, en comparant la carte nationale obtenue avec les données de l’IGN, la disparition d’environ un quart des tronçons hydrographiques, qualifiés de « non-cours d’eau ». Et souvent au détriment des petits ruisseaux de tête de bassin, les plus en amont des bassins versants, essentiels pour la qualité de l’eau et la bonne santé des écosystèmes, souvent riches en biodiversité, ainsi que des ruisseaux intermittents qui cessent de couler et/ou s’assèchent une partie de l’année.

Le Limousin, du fait de sa position en tête de bassin versant, est souvent vu comme une zone relativement préservée en matière d’état des cours d’eau. Pourtant, la réalité est très hétérogène, avec des milieux de bonne qualité et de milieux qui sont relativement altérés, voire dégradés, et une tendance à une uniformisation par le bas de la qualité des milieux.  Quant aux Monédières, qui possèdent un réseau hydrographique très dense, souvent enclavé dans des gorges profondes, boisées, parfois inaccessibles, leurs ruisseaux sont particulièrement exposés aux activités humaines (agriculture, sylviculture, zones urbaines).

Rappelons ici que la Communauté de Communes Ventadour Egletons Monédières est concernée par 3 bassins versants majeurs (La Luzège, la Doustre et la Corrèze et leurs affluents, sachant que la Corrèze elle-même est un affluent de la Vézère).

Une cartographie en cours d’élaboration, ni définitive ni exhaustive

Nos experts rappellent que l’étude de l’INRAE porte sur une version provisoire qui, si elle révèle effectivement de grands écarts entre départements, est nécessairement incomplète. La DREAL (Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) n’a eu que 6 mois pour la dresser, elle sera complétée au fil de l’eau (c’est le cas de la dire) par les agents de l’OFB (Office Français de la Biodiversité) ou de la DDT (Direction Départementale des territoires). La GEMAPI n’utilise d’ailleurs actuellement ni cette carte, ni la « BD Carthage » qui ne recense que les principaux cours d’eau, mais la « Bdtopo IGN » (accessible sur Géoportail >cartes territoires et transport > description du territoire > couche réseau hydrographique) qui est beaucoup plus précise et exhaustive. Sur la seule comcom Ventadour Egletons Monédières, elle recense déjà 1400 kms de cours d’eau. Une limite  certaine toutefois : la BDtopo n’inclut pas le très petit « chevelu » (rigoles, sources, très petits ruisseaux) qui représente près de la moitié du réseau.

Quel est l’état de nos cours d’eau ?

Les têtes de bassin, comme les cours d’eau des Monédières, se dégradent plus vite que les cours d’eau importants. Or ils permettent la vie, la reproduction de la faune et déterminent la qualité de l’eau potable. C’est le premier constat que fait Sebastien Versanne-Janodet. En effet, les petits cours d’eau sont plus fragiles, subissent plus de pression des riverains et sont également plus sensibles au réchauffement climatique. Pour Sylvain Guétin, ce réchauffement est bien sensible dans les Monédières. Le réseau fin des rigoles et des petits ruisseaux, particulièrement en tête de bassin, est très impacté, avec des périodes longues de sécheresse et des étiages sévères

Un cours d'eau dans les Monédières

Le réseau hydrographique des Monédières est, selon Sylvain Guerin, globalement respecté : pas de disparition de cours d’eau, peu de busage ou de drainage. Après guerre et avant la loi sur l’eau de 1992, on avait des recalibrages plus massifs sur les zones de sylviculture, avec des cours d’eau rectilignes (que l’on retrouve d’ailleurs sur la BD Carthage). Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Par contre, le Gemapi constate des recalibrages de petits cours d’eau à la rigoleuse et des approndissements pour drainer les parcelles. Or ces petits cours d’eau, si leur débit est trop important, peuvent perdre leur fonctionnalités de maintien de l’humidité du sol et d’alimentation lente du cours d’eau (soutien d’étiage) . D’où la nécessité impérative de conserver ces zones humides..

La dégradation des têtes de bassin ne provient pas seulement du réchauffement climatique et de recalibrages agricoles. Il s’agit d’une réalité complexe, Sylvain Guérin rappellant par exemple que chaque ruisseau, chaque parcelle a un contexte différent. De plus, l’on connait mal le passé, les outils de mesure et d’analyse n’apparaissant que dans les années 70. Ce qui est patent, c’est que la diminution du nombre d’éleveurs-agriculteurs, la mécanisation accrue avec des engins de plus en plus lourds, les moindres soins apportés aux cours d’eau, la réfection des rigoles – souvent des prestataires spécialisés – faite simultanément et non à l’unité tous les 3 à 4 ans, les impacts de la sylviculture lors de la plantation et l’exploitation des parcelles (certaines pratiques respectueuses, d’autres catastrophiques) jouent un rôle important. Les travaux de voirie ont également un impact significatif, avec des exutoires qui vont directement aux cours d’eau et qui génèrent de l’ensablement.

Entretien des berges, continuité écologique et biodiversité

Nos cours d’eau et rivières n’échappent pas, comme nos chemins, à l’affaiblissement de la notion de « communs », au sens de biens communs en terme d’usage ou de jouissance. Par le passé, les associations de pêcheurs (comme AAPMA) s’occupaient de l’entretien des berges. la tradition des droits de pêche gérés par les associations a progressivement disparu. Les « techniciens des berges » (aujourd’hui GEMAPI) semblent aujourd’hui beaucoup moins actifs dans ce domaine.  Cet entretien ne repose plus aujourd’hui, selon la loi, que sur la bonne volonté des propriétaires des parcelles riveraines. Bonne volonté qui, au vu de l’état des berges de nombreux cours d’eau, est devenue rare.

Sylvain Guerin reconnait ce fait, mais tend à relativiser. Si l’entretien des berges a longtemps été le cœur de métier des « techniciens de rivière », que la tempête de l’an 2000 a encore renforcé du fait des très nombreux embacles en résultant, ils n’interviennent plus que sur des zones ciblées. L’entretien des berges est certes ce qu’il y a de plus visible et qui contribue le plus fortement au « paysage », d’où une une certaine réceptivité des propriétaires. Mais ce n’est pas selon lui ce qui a nécessairement le plus d’impact sur la bonne santé des cours d’eau[1]. La Gemapi privilégie les actions sur la continuité écologique, les techniques de cloture, les dispositifs d’abreuvement respectueux du milieu, la restauration de zones humides, la lutte contre l’ensablement (qui bouche les infractuosités donc l’habitat des truites et des macro-invertébrés qui les nourrissent) ainsi que les actions de pédagogie auprès des propriétaires ou usagers locataires.

En matière de biodiversité, nos deux experts font le même triste constat : les espèces sensibles disparaissent. Outre la température de l’eau, les pollutions chimiques mais aussi organiques liées aux stations d’épuration, l’ensablement important dont nous avons parlé plus haut touchent en premier lieu les macro-invertébrés  (insectes, crustacés, mollusques) qui sont la principale nourriture des poissons indigènes et des truites fario. En outre, constate Sébastien Versanne-Janodet, de nombreuses études scientifiques montrent que l’alevinage, tel qu’il a pu être pratiqué il y a quelques décennies, sous l’impulsion des sociétés savantes, puis du CSP, participe peu au renouvellement des populations : les alevins, à croissance plus rapide, font concurrence aux individus autochtones sans repeupler réellement, leur voracité entrainant le plus souvent leur capture avant qu’ils puissent se reproduire. Des alevinages sont encore pratiqués par des AAPPMA (Associations Agréées de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques), mais l’utilisation d’individus autochtones étant interdite par les services vétérinaires, ils sont plus limités qu’autrefois.

GESTION DES COURS D’EAU : UN PILOTAGE ET UNE COORDINATION COMPLEXES Les ruisseaux et rivières n’ont pas de frontières. D’où une concertation complexe et source de lenteur entre des instances publiques et territoriales concernées : – La compétence GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) est devenue obligatoire pour toutes les communautés de communes.
– Les collectivités locales se coordonnent au travers d’EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), avec une structure chef de file (pilote) par bassin versant. Pour la Corrèze et ses 7 collectivités, c’est Tulle Agglo et le SIAV  (Syndicat Intercommunal d’Aménagement de la Vézère[1]). Cette coopération intercommunale en matière de réseau hydrographique se traduit par un langage commun (données partagées, bases et méthodes de diagnostic communes) et des PPG (Programmes Pluriannuels de Gestion) sur 5 ans, à échelle de bassins cohérents (bassins versants, gros affluents).
– Les DDT (Directions Départementales des Territoires) dépendent de la Préfecture, l’OFB (Office Français de la Biodiversité), les « gendarmes de la nature » pouvant verbaliser, sont un service de l’Etat. DDT et OFB travaillent en étroite collaboration et interviennent généralement ensemble.

Qualité de l’eau : on ne trouve que ce que l’on cherche

Les pollutions chimiques jouent un rôle difficile à constater, mesurer et contrôler, qu’il s’agisse de pesticides, de produits de lessive, de résidus pharmaceutiques, de contamination à l’aluminium par ruissellement… Comme le rappelle Sylvain Guérin, «les analyses d’eau coûtent cher et surtout on ne trouve que ce qu’on cherche. Les phénomènes de dilution sont par ailleurs mal connus. Il est donc difficile de faire des synthèses de qualité ».

Selon Sébastien Versanne-Janodet, la tendance est à la moindre exigence quant à la qualité des cours d’eau, ne serait-ce que les contrôles sont en milieu ou en exutoire de bassin versant :  les rivières de 1ère catégorie étant ainsi passées de la note 1A à 1B.


[1] Sylvain Guérin précise que 70% du sol occupé par les ruisseaux se situent en propriété forestière, et l’expérience montre que les ruisseaux surmontent naturellement les embacles et encombres de ces milieux forestiers, contrairement à ce qui se passe dans d’autres zones plus critiques : aval de barrage (absence de crues), zones urbanisées et agricoles.


[1] En particulier par le média généraliste en ligne The Conversation – https://theconversation.com/une-cartographie-inedite-des-cours-deau-officiels-pointe-les-incoherences-de-la-reglementation-238838 – et la revue en anglais «Environmental Science & Technology » – https://doi.org/10.1021/acs.est.4c01859.

Petite revue de presse sur les cours d’eau

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